Projet de déclaration de l'armée insurrectionnelle révolutionnaire d'Ukraine (makhnoviste),

adopté par le Soviet Révolutionnaire Militaire, lors de sa réunion du 20 octobre 1919



Les classes laborieuses d'Ukraine sont aujourd'hui confrontées à des événements de grande importance et de portée historique. Sans doute, la signification de ces événements déborde les limites de l'activité de l'armée insurrectionnelle révolutionnaire. Mais, se tenant à l'avant-garde du combat en cours, celle-ci considère qu'il est de son devoir d'exposer aux travailleurs d'Ukraine, de Russie et du monde entier, les buts pour lesquels elle combat, ainsi que son analyse des événements récents et de la situation actuelle. 

En février mars 1917, la Russie et l'Ukraine ont vécu la Première révolution, qui a provoqué la chute de l'autocratie tsariste et apporté l'avènement d'un pouvoir politique d'Etat, formé d'abord par des personnalités de la grande bourgeoisie industrielle, puis par des représentants de la petite et moyenne bourgeoisie. Aucun de ces deux gouvernements ne s'est révélé stable. Huit mois ont suffi pour que les masses révolutionnaires renversent ces pouvoirs qui n'avaient rien de commun avec les intérêts et les aspirations des travailleurs . 

Dès juillet 1917, la Deuxième révolution sembla nécessaire. Elle eut lieu fin octobre et permit la prise du pouvoir d'Etat par le parti social-démocrate bolchevik, lequel se considérait comme représentant du prolétariat révolutionnaire et de la paysannerie pauvre, autrement dit de la révolution sociale. Très tôt, ce parti a mené une lutte permanente contre tous les autres partis concurrents afin de s'emparer du pouvoir. Comme ses mots d'ordre coïncidaient avec les aspirations des masses laborieuses, celles-ci l'appuyèrent au moment décisif. Aussi, cette période de huit mois de gouvernement de la bourgeoisie coalisée et de rivalité entre les différents partis politiques s'acheva-t-elle par la prise du pouvoir par le parti bolchevik. 
Cependant, il apparut très rapidement que ce parti et ce pouvoir d'Etat - comme tout parti et tout pouvoir d'Etat - ne fonctionnaient que pour eux-mêmes et se révélaient absolument impuissants à réaliser les grands objectifs de la révolution sociale ; par cela même, ils entravaient la libre activité créatrice des masses laborieuses, seules capables d'assumer cette tâche. Il est évident qu'en contrôlant toute la vie économique et sociale, tout pouvoir d'Etat crée inévitablement de nouveaux privilèges politiques et économiques et sape les fondements mêmes de la révolution sociale. L'incapacité du parti bolchevik communiste à offrir une voie authentique de lutte pour le socialisme a naturellement provoqué le mécontentement, la déception et l'amertume chez les masses laborieuses. La désorganisation de la vie économique, conséquence d'une mauvaise politique agraire, a suscité de sérieux troubles dans les campagnes. Le pouvoir bolchevik a cependant réussi à organiser en Russie un fort appareil d'Etat et une armée docile dont il se sert, tout comme ses devanciers, pour étouffer toute manifestation de mécontentement et de résistance populaires . 

En Ukraine, la situation est différente.

Avant de faire connaissance avec le pouvoir bolchevik, l'Ukraine a été occupée par les Austro-Allemands, qui y installèrent leur homme lige, l'hetman Skoropadsky. Le pouvoir de Pétlioura leur succéda. Les excès de ces pouvoirs provoqua une explosion d'indignation du peuple, un rejet total de l'idée même du pouvoir d'Etat, qui se traduisirent par un puissant mouvement insurrectionnel populaire, animé d'un esprit véritablement révolutionnaire antiparti et antiautoritaire. Après le départ des Austro-Allemands, les insurgés révolutionnaires nettoyèrent l'Ukraine, par une série d'engagements, des partisans de l'hetman et de Pétlioura ; le pouvoir bolchevik communiste en profita pour venir s'installer au printemps 1919, entraînant une très rapide déception. En quelques mois, le mécontentement et l'hostilité des masses laborieuses des villes et surtout des campagnes se manifestèrent avec violence. De grandes régions, telles les provinces d'Ekatérinoslav et de Tauride, commencèrent à s'orienter de plus en plus nettement vers une auto-organisation économique et sociale, sur une base hostile aux partis et au pouvoir d'Etat. Aucune activité politique n'y fut tolérée. Vers la fin de l'été, tout le pays était en proie à de vastes mouvements insurrectionnels paysans contre l'arbitraire du parti communiste. La Troisième révolution se fait jour et guide cette insurrection générale . 

Pendant ce temps, la réaction avait relevé la tête. La Troisième révolution s'opposa à la tentative de restaurer l'ancien régime. Espérant se retrouver maître de la situation en anéantissant ses deux ennemis - l'insurrection révolutionnaire et la réaction, le pouvoir bolchevik prépara et facilita traîtreusement l'écrasement du noyau principal de l'armée insurrectionnelle makhnoviste. Toutefois, l'appareil d'Etat et les forces armées du pouvoir communiste bolchevik ne purent, à leur tour, prendre racine en Ukraine et s'avérèrent incapables de remplacer le mouvement insurrectionnel révolutionnaire dans sa lutte contre Denikine. Les insurgés révolutionnaires sortirent de cette situation difficile, affaiblis, mais non vaincus. Refoulés loin de leur zone d'origine, ils s'efforcèrent de subsister à tout prix et, tout en parcourant d'autres régions de l'Ukraine, ils poursuivirent une lutte acharnée contre les dénikiens, contre les calomnies calculées de Trotsky et la dangereuse atteinte portée à la révolution . 

L'incendie de l'insurrection paysanne et de la lutte contre la réaction fait maintenant rage dans toute l'Ukraine. Un nouvel ennemi des travailleurs apparaît sous la forme du gouvernement bourgeois et républicain de Pétlioura. Un affrontement, inévitable et décisif, dont l'avenir montrera qui en sortira vainqueur, met aux prises la conception de l'organisation libertaire, reprise par des masses importantes d'Ukraine, et la conception d'un pouvoir politique monarchiste, bolchevik communiste ou bourgeois républicain. 

Tels sont les grands traits de la dure expérience révolutionnaire que nous, insurgés makhnovistes, avons vécue pendant ces deux années et demie de révolution. Il nous reste à ajouter que, dans notre région et dans beaucoup d'autres plus éloignées, nous avons été témoins et participants d'essais réussis d'organisations sociales et économiques libertaires, sans ingérence de quelque gouvernement que ce soit. La plupart d'entre eux ne furent interrompus qu'à la suite d'interventions violentes de tel ou tel pouvoir. 

Le résultat de cette expérience, difficile mais enrichissante, ainsi que les positions théoriques qui la caractérisent, nous amènent à déclarer de façon nette et précise ce qui suit : 

Le déroulement de la révolution nous a convaincus indubitablement qu'aucun parti politique et aucun pouvoir d'Etat ne sont capables de résoudre les grands problèmes de notre époque, de relancer et d'organiser l'économie ruinée du pays, tout en stimulant et en satisfaisant les besoins des masses laborieuses. Nous sommes persuadés qu'à la suite de cette expérience, de grandes masses ouvrières et paysannes d'Ukraine sont arrivées à la même conclusion et qu'elles ne supporteront aucune oppression politique . 

Nous considérons que, dans un avenir proche, toutes les classes travailleuses parviendront à la même position, et qu'elles procèderont elles-mêmes à l'organisation de leur vie professionnelle, économique, sociale et culturelle, à partir de principes libres, sans la tutelle, la pression et la dictature de quelque personnalité, parti ou pouvoir que ce soit. 

Nous déclarons que le mouvement insurrectionnel populaire qui se développe actuellement en Ukraine constitue le début de la grande Troisième révolution, qui libèrera définitivement les masses laborieuses de toute oppression de l'Etat et du Capital, privé ou étatique. 

Nous déclarons que notre armée insurrectionnelle makhnoviste n'est que le noyau combattant de ce mouvement révolutionnaire populaire ukrainien, noyau dont la tâche consiste à organiser partout des forces insurrectionnelles et à aider les travailleurs insurgés dans leur lutte contre tout abus du pouvoir et du capital. L'Ukraine est au seuil d'une véritable révolution sociale paysanne. Tel est le sens de la situation. Nous, insurgés makhnovistes, nous sommes les fils de cette révolution, pour la servir et la protéger. Lorsqu'elle se propagera tel un puissant incendie à travers toute l'Ukraine des travailleurs, en la libérant de tous les agresseurs et de tous les pouvoirs, nous, combattants fidèles, nous nous mêlerons aux millions d'insurgés du peuple. Nous participerons alors au coude à coude à la libre édification d'une vie nouvelle. En ce qui concerne notre conception des questions essentielles de la reconstruction économique et sociale, nous estimons indispensable de souligner ce qui suit : lorsque les travailleurs disposeront de la liberté nécessaire pour forger eux-mêmes leur destin, ils s'orienteront naturellement et inévitablement, pour l'écrasante majorité d'entre eux, vers la réalisation des principes sociaux véritablement communistes. Nous pensons que seules les masses laborieuses peuvent appliquer dans les faits ces principes, à condition qu'elles disposent de la plus complète liberté de création socio-économique. Nous considérons donc comme tout à fait irrationnel et inopérant d'imposer de force notre idéal. Nous pensons de même qu'il serait funeste de vouloir mettre les masses à notre remorque, au moyen d'une direction par en haut. Nous voulons limiter notre rôle à une simple aide théorique et organisationnelle, sous forme de propositions, de conseils, d'indications ou d'orientations. Nous pensons que, si le peuple doit avoir la possibilité de connaître tous les avis et conseils, il doit décider seul de les appliquer, en toute indépendance et liberté, sans ingérences de partis, de dictateurs et de gouvernements quels qu'ils soient. Nous nous efforçons de faire connaître ces conceptions auprès des masses laborieuses, en attirant leur attention sur leur propre rôle autonome dans une édification soviétique libre. 

Le régime des soviets

Nous exprimons notre conception d'un régime authentique de soviets libres de la manière suivante : Afin d'instaurer une nouvelle vie économique et sociale, les paysans et ouvriers créent naturellement et librement leurs organisations sociales et économiques : comités ou soviets de villages, coopératives, comités de fabrique et d'usine, comités de mines, organisations ferroviaires, des Poste et Télégraphe et toutes autres unions et organisations possibles. Pour établir une liaison naturelle entre toutes ces unions et associations, ils mettent sur pied des organes fédérés de bas en haut, sous la forme de soviets économiques, ayant pour tâche technique de réguler la vie sociale et économique sur une grande échelle. Ces soviets peuvent être des soviets de district, de ville, de région, etc., organisés selon les besoins, à partir de principes libres. En aucun cas, ce ne sauraient être des institutions politiques, dirigées par tels ou tels politiciens ou partis politiques, qui dicteraient leur volonté (ce qui se réalise sous le masque du "pouvoir soviétique"). Ces soviets ne sont que les organes exécutifs des assemblées dont ils sont issus. 

Un tel régime soviétique reflète réellement l'organisation des paysans et ouvriers. Si cette création est effectivement l'œuvre libre des masses paysannes et ouvrières elles-mêmes, si le travail économique vivifiant de tous les organes de base et des organisations soviétiques fédératives commence à attirer de plus en plus de travailleurs, sans ingérence ni intervention arbitraire de quelque parti politique ou pouvoir que ce soit, alors, à notre avis, il sera possible d'instaurer rapidement un système économique et social à partir des principes d'égalité sociale, de justice et de fraternité, et, par là même, de mettre fin à l'existence des classes, des partis politiques et des Etats, ainsi qu'à la domination d'une nationalité sur d'autres. Les couches arriérées et non-laborieuses de la population seront naturellement intégrées, peu à peu, dans ce système. 

Toute "activité politique" qui amène inévitablement la création de privilèges et un appareil d'asservissement économique et politique de la masse laborieuse s'avèrera inutile dans les faits, et les organisations "politiques" tendront à disparaître d'elles-mêmes. 

Aux questions qui se poseraient à propos des organes "officiels" et des diverses activités sociales concernant l'instruction, la médecine, les statistiques, les enregistrements d'unions, des décès et des naissances, etc., nous répondrons que la place la plus large sera laissée à l'initiative individuelle, précieuse et féconde, dans le cadre du soviet. Tout cela ne posera aucune difficulté et sera résolu au mieux par les organes locaux d'autodirection.

L'appareil judiciaire et administratif. En ce qui concerne le fait de présenter cet appareil comme une nécessité, nous tenons avant tout à réaffirmer notre position de principe : nous sommes contre tout appareil judiciaire et policier rigide, contre tout code législatif fixé une fois pour toutes, qui entraînent des violations grossières d'une authentique justice et de la défense réelle de la population. Celles-ci ne doivent pas être organisées, mais être l'acte vivant, libre et créateur de la communauté. C'est pourquoi toutes les formes périmées de la justice administration judiciaire, tribunaux révolutionnaires, lois répressives, police ou milice, tchékas, prisons et toutes autres vieilleries stériles et inutiles - doivent disparaître d'elles-mêmes ou être supprimé dès la première respiration de la vie libre, dès les premiers pas de l'organisation sociale et économique libre et vivante . 
Les libres organisations, associations et soviets d'ouvriers et de paysans, doivent établir elles-mêmes telles ou telles formes de justice. Cette justice ne doit pas être exercée par des fonctionnaires spécialisés, mais par des responsables qui jouissent de la confiance de la population locale, en accord avec elle et en écartant totalement les sanctions prévues par le passé. De même, l'autodéfense populaire doit être fondée sur la libre organisation, sans être l'affaire de miliciens spécialistes. L'organisation, officielle par l'Etat de la justice et de la défense, non seulement n'atteint pas ses objectifs, mais trahit toute justice et défense véritables. 

La question du ravitaillement

Cette question se pose actuellement avec le plus d'acuité. Sa résolution se situe au premier rang des urgences, car tout le sort de la révolution dépend d'elle en ce moment. Le principal défaut de la révolution précédente (des bolcheviks NdT) venait de la désorganisation complète du ravitaillement, laquelle a provoqué la coupure entre les villes et les campagnes. Les travailleurs doivent y accorder la plus grande attention. Cette question était particulièrement facile à résoudre au commencement de la révolution, alors que la vie n'était pas encore complètement désorganisée et que la nourriture se trouvait partout en quantité plus ou moins suffisante. À ce moment, la lutte entre les partis socialistes pour s'emparer du pouvoir politique, puis celle du parti bolchevik pour s'y maintenir accaparèrent l'attention des ouvriers et paysans qui laissèrent cette question en suspens et ne firent pas suffisamment preuve de vigilance. Quant au pouvoir bolchevik, il se révéla tout naturellement incapable de la résoudre. 

Là aussi, nous considérons que la juste résolution de cette question et la remise en ordre de tout ce qui y a trait ne peuvent être trouvées que par les travailleurs eux-mêmes au moyen de leurs libres organisations. Personne d'autre ne pourra régler valablement ce problème à leur place. Les travailleurs doivent éviter sur ce plan de se désunir et une étroite union entre les ouvriers et les paysans doit s'établir. Cela ne sera pas difficile s'ils écartent les organisations politiques et les politiciens bavards. Les villes libérées de tout pouvoir politique convoquera un congrès élargi des ouvriers et des paysans, lequel inscrira parmi les priorités la question du ravitaillement et le rétablissement des liens économiques entre les villes et les campagnes, instaurant un échange équitable des produits de première nécessité. La tâche ultérieure sera l'œuvre des organisations professionnelles, coopératives, et des transports. Des organismes adéquats seront créés pour la recherche, le regroupement et la reprise de la production industrielle et agricole ; ils instaureront un système d'échange et de juste répartition des biens. Sur ce plan, les coopératives et les associations libres d'ouvriers et de paysans devront jouer un rôle primordial. Ce n'est qu'ainsi, à notre avis, que pourra être résolue la question particulièrement importante du ravitaillement . 

Le problème de la terre

Le processus de rétablissement et d'amélioration rapide de notre économie agraire, actuellement ruinée et très restreinte, réclame une réorganisation du travail de la terre, mise en ivre par une décision absolument libre et volontaire de toute la population agricole laborieuse (l'aide des spécialistes va évidemment de soi)Les commerçants des villages devront être rapidement écartés de ce processus. Nous sommes persuadés que la solution de ce problème de la terre se dégagera d'elle-même par l'organisation communiste de l'économie paysanne. Tous seront vite convaincus que le développement de la production et la satisfaction de tous les besoins ne pourront être assurés que par la communauté et non par des personnes particulières. Cependant, toute imposition du communisme par la contrainte et par l'administration d'en haut doit être rejetée. 

Le décret des bolcheviks portant sur la "nationalisation des terres", c'est-à-dire sur la réunion des terres entre les mains de l'Etat (en fait, dans les mains du gouvernement, de ses organes et de ses fonctionnaires), doit être supprimé. L'appropriation des terres par l'Etat conduira inévitablement, non pas à des structures agricoles justes et libres, mais à la réapparition d'un nouvel exploiteur et maître, en la personne de l'Etat, qui utilisera - comme tous les patrons - le salariat et imposera par la force à la paysannerie toutes sortes de corvées, d'impôts, etc., tout comme auparavant les pomiéchtchikis. La paysannerie ne gagnera rien à se retrouver en face d'un seul maître - l'Etat - encore plus puissant et cruel que les milliers de petits chefs, maîtres et pomiéchtchikis. La terre confisquée aux grands propriétaires terriens ne doit pas être mise à la disposition de l'Etat mais entre les mains de ceux qui la travaillent directement : les organisations paysannes, les communes libres et autres unions. 

Les modes d'emploi des terres, du matériel et l'organisation même de l'économie agricole doivent être élaborés librement lors de congrès paysans, après discussion et adoptés sur résolutions, sans ingérence de quelque pouvoir que ce soit. 

Nous considérons que la solution de toutes ces questions par les paysans eux-mêmes amènera un processus naturel de développement des organisations sociales de l'économie paysanne, en commençant, par exemple, par la répartition égalitaire et proportionnelle de la terre, du matériel agricole et du cheptel ; par l'organisation sociale du travail et de la distribution des produits sur la base de la coopération ; par l'utilisation sociale de la terre et des équipements, etc., c'est-à-dire par des formes communistes plus ou moins affirmées. Le travail manuel et intellectuel des villageois expérimentés et compétents, en contact étroit avec les organisations ouvrières, renforcera ce processus et accélèrera son développement. Entre temps, les propriétés privées seront rapidement et aisément résorbées. La population paysanne active dominera sans peine les représentants de la classe des grands propriétaires, en confisquant d'abord leurs terres au profit de la communauté, puis en les intégrant naturellement dans l'organisation sociale. 

Nous attirons l'attention de la population paysanne sur une organisation coopérative élargie (artels) et la production distributive. Nous estimons que l'organisation coopérative est, en tant que première étape, la plus adaptée et la plus naturelle sur la voie de l'édification de l'économie agricole sur des bases nouvelles. Ce qu'on appelle l'"économie soviétique ", où règnent inévitablement le salariat, l'arbitraire et la violence des fonctionnaires bolcheviks communistes, est à liquider en totalité. La question de la participation d'agronomes compétents et spécialisés ainsi que d'autres problèmes divers seront réglés par la discussion et les décisions prises par les organisations et les congrès paysans. Toutes les formes de salariat doivent être irrémédiablement supprimées. 

Il est bien évident que la solution juste et l'évolution ultérieure de la question des terres dépendent étroitement, dans une grande mesure, du règlement équitable de la question ouvrière. C'est aux organisations ouvrières qu'il appartient aussi d'établir un certain nombre de liens avec les villages, suffisamment nombreux, pour échanger toutes sortes de matériels et d'objets de la production industrielle contre des produits agricoles. Seule, l'union étroite et fraternelle des ouvriers et des paysans, au sein d'organisations d'entraide dans la production et dans l'échange économique, pourra apporter à la question agraire une solution naturelle, planifiée et juste. 

La question ouvrière

Ayant été les témoins de nombreuses tentatives menées par divers partis politiques, "hommes d'affaires" ou "personnalités sages" pour résoudre la question ouvrière ; ayant attentivement examiné l'idée et les résultats de l'étatisation (nationalisation), tant des moyens et instruments de la production ouvrière (les mines, moyens de communication, fabriques, usines, etc.) que des organisations ouvrières elles-mêmes (syndicats, comités d'usine et de fabrique, coopératives, etc.), nous déclarons avec certitude qu'il n'existe qu'une seule solution véritable et juste de la question ouvrière : transférer tous les moyens, instruments et matériaux de travail, de production et de transport, non à la disposition totale de l'Etat - ce nouveau patron et exploiteur, employant le salariat et opprimant les ouvriers non moins que les entrepreneurs privés, mais des organisations et unions ouvrières, associées naturellement et librement entre elles, en liaison avec les organisations paysannes, par l'intermédiaire de leurs soviets économiques. Nous sommes convaincus que seule cette manière de résoudre la question ouvrière libèrera l'énergie et l'activité des masses ouvrières, donnera une nouvelle impulsion à la restauration de l'économie industrielle détruite, rendra impossibles l'exploitation et l'oppression, mettra un terme à la spéculation et à la filouterie, fera cesser l'augmentation artificielle des prix et la hausse échevelée du coût de la vie. 

Nous sommes persuadés que seuls les ouvriers, à l'aide de leurs libres organisations et unions, pourront obtenir leur affranchissement du joug de l'Etat et du Capital (tant privé que d'Etat), prendre en mains l'exploitation du minerai et du charbon, remettre en marche les fabriques et les usines, organiser un échange équitable des produits entre les différentes régions, entre les villes et les campagnes, restaurer le trafic ferroviaire, en un mot, rendre vie au corps moribond de notre organisation économique. Aucun pouvoir d'Etat, aucun parti, aucun système de direction et de contrôle des ouvriers par des commissaires, des fonctionnaires, des militants politiques et autres, ne pourront mener, selon notre conviction profonde, au but fixé. L'organisation du travail, de la production, du transport, de la distribution et de l'échange doit être l'œuvre des unions ouvrières libres, avec l'aide des personnes expérimentées et compétentes, dans les conditions d'un travail libre dans les usines et fabriques . 

Pour assurer l'activité d'une telle organisation et son développement fécond, il est indispensable, avant tout, de préparer des congrès et conférences ouvrières authentiques, sur des bases libres, sans pression ni dictature de partis ou d'individus. Seuls, ces congrès et conférences libres pourront résoudre effectivement toutes les questions pressantes de la vie ouvrière et de l'édification ouvrière en une orientation nécessaire et féconde. Il va sans dire que la juste résolution et l'orientation ultérieure de la question ouvrière dépendent en grande partie de la solution équitable de la question du ravitaillement et de la répartition de la terre, ainsi que de la question financière, liée étroitement aussi à la question ouvrière . 

La question du logement en est partie intégrante, aussi ne donnons-nous que notre position fondamentale sur ce sujet : l'une des premières tâches des organisations ouvrières libres est de répartir équitablement les logements disponibles, puis de développer la construction des logements nécessaires, et ceci ne pourra se faire qu'en collaboration avec les responsables de la gestion des logements (comités de maison et de quartier) . 

La question financière

Le système financier est inséparable du système capitaliste. Celui-ci sera bientôt remplacé par l'organisation communiste libre de l'économie, ce qui entraînera incontestablement la disparition du système financier et son remplacement par un échange direct des produits, au moyen de l'organisation sociale de la production, du transport et de la distribution . 

Cependant, cette transformation ne se fera pas en un jour. Bien que le système monétaire soit aujourd'hui complètement bouleversé, il faudra, par la force des choses, qu'il continue à fonctionner encore un certain temps. Pour l'instant, il est indispensable de l'organiser sur de nouvelles bases . 

Il ne s'agit donc pas de le conserver ou de le rétablir, mais uniquement de l'adapter provisoirement à des bases plus justes. Jusqu'au coup d'Etat d'Octobre, les richesses du peuple étaient concentrées soit entre les mains de l'Etat, soit dans celles des capitalistes et de leurs organismes. L'imposition obligatoire et l'exploitation croissante étaient les fondements de cette concentration. Le pouvoir bolchevik communiste s'est érigé au-dessus des travailleurs en tant qu'Etat-patron-exploiteur. Il se veut dominateur et seul organisateur du système monétaire du pays. En fait, l'Etat bolchevik et ses fonctionnaires sont les seuls à disposer de la richesse du peuple. À notre avis, cette situation doit radicalement changer . 

Dans la mesure où le système des soviets libres de travailleurs se mettra en place et se développera, inaugurant une nouvelle vie libre, toute imposition obligatoire doit être supprimée et remplacée par la contribution libre et volontaire des travailleurs. Dans les conditions d'une édification libre et indépendante, cette contribution donnera sans aucun doute les meilleurs résultats. Par voie de conséquence, le trésor public centralisé de l'Etat, sous quelque forme que ce soit (même sous celle de "Banque du peuple "), doit être liquidé et remplacé par le système décentralisé de véritables banques du peuple, créées sur une base coopérative. Les fondateurs et les déposants de ces banques doivent être uniquement les paysans et les ouvriers, c'est-à-dire leurs associations, leurs unions et organisations, sur la base d'une imposition librement consentie. Dans le cas de dépenses indispensabLes pour teLle ou telLe entre prise ou service, d'ampleur régionale ou même nationale (prenons l'exemple des Postes et Télégraphes), Le congrès général ou le soviet de cet organisme reçoit La somme nécessaire des banques du peuple. Celles-ci peuvent être communales, soviétiques ou sociales, etc., selon les besoins. L'importance des contributions voLontaires sera déterminée par Le calcul des besoins et des dépenses sociales. Pas un seul kopeck de l'argent du peuple ne peut mètre dépensé sans l'accord et La permission expresse de l'organisation (congrès, commune, soviet ou union) . Les différents services sociaux et organismes présentent, au moment convenu, Les dépenses prévues à leurs instances respectives qui ratifient, le cas échéant, Le budget prévisionnel . 

Tel est, dans ses grandes lignes, le système financier qui, selon nous, doit être instauré durant la période où le signe monétaire et la circulation de la monnaie continuent d'exister . Seul un tel système sera en pleine harmonie avec un authentique régime des soviets . 

Pour ce qui concerne Le signe monétaire en soi, on pourra disposer, au début, d'une quantité plus importante que nécessaire. Ainsi, au fur et à mesure du renforcement et du développement de la nouvelle organisation du travail, les ouvriers et paysans passeront du système monétaire à celui de la simple attestation du travail social fourni .Cette attestation donnera au porteur le droit de recevoir des magasins et marchés sociaux les objets et biens dont il aura besoin, et qui commenceront à apparaître en abondance grâce à l'organisation du nouvel appareil économique adapté aux besoins . 

Le jour n'est pas loin où chaque travailleur, grâce à son travail pour la société (et donc pour lui-même en tant que membre de cette société), pourra recevoir, selon l'attestation nécessaire. Les produits et biens qui lui sont indispensables . 

La question nationale

Il est clair que chaque groupe national a le droit naturel et indiscutabLe de parLer librement sa langue, de vivre seLon ses coutumes, de conserver ses croyances et ses rites, de rédiger ses manuels scoLaires et d'avoir ses propres étabLissements et organismes gestionnaires; en un mot, de maintenir et de développer sa culture nationale dans tous Les domaines . Il est évident que cette position claire et précise n'a absolument rien à voir avec le nationalisme étroit, de type "séparatiste", qui dresse l'une contre l'autre des nations et qui remplace la lutte pour une union naturelle et sociale des travailleurs dans un tout social commun, par une séparation artificielle et funeste . 

A notre avis, les aspirations nationales de caractère naturel et sain (langue, coutumes, culture, etc.) ne peuvent trouver une pleine et fructueuse solution que dans l'union des nationalités et non dans leur antagonisme . La lutte de libération d'un peuple amène naturellement la même lutte chauvine des autres peuples, son résultat est inévitablement l'isolement et la haine entre les différentes nations. Cette vision de la question nationale, profondément bourgeoise et négative, conduit fatalement à des affrontements nationaux absurdes et sanglants . 

L'édification rapide d'une nouvelle vie sur des bases socialistes amènera inéluctablement le développement de la culture spécifique de chaque nationalité. Lorsque nous, insurgés makhnovistes, nous parlons de l'indépendance de l'Ukraine, nous la situons sur le plan social et économique des travailleurs. Nous proclamons le droit du peuple ukrainien (et de toute autre nation) à l'autodétermination, non dans le sens national étroit de type pétliourien, mais dans celui des travailleurs à s'autodéterminer. Nous déclarons que le peuple travailleur des villes et des campagnes d'Ukraine a montré à tous, par son héroïque combat, qu'il ne veut plus subir de pouvoir politique et n'en a nul besoin, qu'il aspire consciemment à une société libertaire . Nous déclarons donc que tout pouvoir politique, d'où qu'il vienne, qui prétendrait dominer et diriger par la contrainte et l'arbitraire, sera considéré par les masses laborieuses ukrainiennes comme ennemi et contre-révolutionnaire. Elles mèneront une lutte farouche contre lui, en défendant leur droit à l'auto-organisation jusqu'à la dernière goutte de leur sang. 

Il va de soi que, dans la société fondée sur de véritables bases soviétiques, telles que nous les avons exposées, la question de la représentation proportionnelle et autres procédés politiciens ne se posent pas. 

La culture et l'éducation

La culture et l'éducation dans une société libre ne peuvent être le monopole de l'Etat ou d'un gouvernement. Ce ne peut être que l'affaire d'individus et d'organisations librement et naturellement unies . La création vivante et libre des valeurs culturelles auxquelles l'esprit des masses laborieuses s'attachera ne peut naître que dans ces conditions . 

La liberté des citoyens

Il est évident que l'organisation libre de la société offre la possibilité entière et pratique de réaliser ce qu'on appelle les "libertés du citoyen" .... liberté de parole, de presse, de conscience, de culte, de réunion, d'union, d'organisation, etc. 

La défense de la société

Tant que la société libre aura besoin de se défendre contre une agression extérieure, elle devra organiser son autodéfense, son armée. Nous concevons celle-ci comme un contingent libre, fondé sur le principe électif des postes de responsabilités et lié étroitement à la population . Il doit être placé sous l'autorité des organisations des travailleurs des villes et des campagnes, afin de les protéger contre toute tentative violente de la part de tout pouvoir d'Etat et du Capital, et de leur garantir une édification sociale libre. 

Rapports avec les Etats étrangers

Les congrès élargis qui représentent toutes les organisations des villes et des villages qui constituent la société libre - désignent une commission chargée d'entretenir des rapports réguliers avec les Etats étrangers . Cette activité doit être publique et sans aucune ambiguïté ; aucun "secret diplomatique" n'est acceptable . Les problèmes qui ne peuvent être réglés par la commission sont soumis à la discussion et à la décision de congrès extraordinaires . 

Telles sont les bases sur lesquelles, à notre avis, doit se fonder la société libre, juste et saine, pour laquelle nous combattons. Nous n'avons pas à imposer par la contrainte ces conceptions à la population laborieuse ; nous estimons qu'il est de notre devoir de faire uniquement connaître notre conception et d'offrir aux paysans et ouvriers la possibilité de débattre librement de ce point de vue, aussi bien que d'autres, afin qu'il soit possible de choisir en toute liberté telle ou telle voie pour l'édification économique et sociale de la société . 

Nous en sommes convaincus: c'est en faisant seulement appel à la liberté la plus complète de recherche et d'expérience d'édification que la population laborieuse pourra trouver l'issue naturelle qui mène au socialisme authentique et sain .Cette liberté dans la recherche et dans l'édification nous la maintiendrons et la défendrons de toutes nos forces ; elle sera indubitablement défendue de la même manière par tous les travailleurs d'Ukraine, que nous appelons à participer au grand combat commun, en corrigeant au besoin les erreurs et insuffisances inévitables, en manifestant leur sympathie et en la renforçant par l'adhésion continue de nouveaux combattants et défenseurs de la liberté. C'est par les efforts conjoints de la grande communauté des travailleurs que sera forgée librement la forme de la nouvelle société, et c'est en défendant les armes à la main ce droit à la liberté créatrice que nous vaincrons. 

Extrait de A. Skirda "Les Cosaques de la Liberté" Ed. J-C Lates Octobre 1985. 


Source: Nestor Makhno et la Makhnovstchina, an archive by Groupe Colargol Liquide (site at present unavailable)

Return to The Nestor Makhno Archive

Other pages connected to this site:

Anarchist Groups & Organizations

An Anarchist Reader

L@ Pagin@ di nestor mcnab