À propos du livre
Les formations anarcho-communistes de Nestor Makhno (septembre 1917 - août 1921)
de A.V. Timochouk (éditions Tavria Simferopol, 1996).


Jean-Marie Chauvier, journaliste a la RTBf et par ailleurs collaborateur au Monde Diplomatique, nous fait parvenir cette note de lecture sur "Les formations anarcho-communistes de Nestor Makhno" un bouquin signé A. V. Timochouk et publié en 1996 en Ukraine aux éditions Tavria. Il propose que son texte sorte dans la presse libertaire francophone (et notamment dans AL) avec une "réponse" des anarchistes.


Sujet tabou, personnage décrié sous le régime soviétique, l'un des co-fondateurs des soviets en Ukraine, le communiste libertaire Nestor Makhno est redécouvert après 1991 en Russie et en Ukraine. 

Les auteurs d'études sur cette personnalité légendaire de la guerre civile ont quelques difficultés à "saisir" cette part d'Histoire "inclassable" au sens qu'elle appartient à l'opposition au bolchevisme, mais pas pour autant à sa négation contre-révolutionnaire ou libérale. Makhno était-il au moins représentatif de ces autres mouvements "inclassables", que furent les soulèvements paysans en défense des communautés villageoises ou des libertés économiques ? Aucunement, puisqu'il était adversaire du patriarcat et partisan du communisme en autogestion, proche des idées anarchistes, "encore plus égalitariste que les Bolchéviks". Makhno ne fut-il, du reste, l'un des artisans de l'établissement et du pouvoir des soviets, en 1917, et de la formation de l'armée rouge, début 1918 ? C'est ce que rappelle un auteur ukrainien, A.V. Timochouk, qui s'efforce de défaire l'image de l'opposant et du révolté paysan, n'hésitant pas à qualifier Makhno d'"anarcho-bolchévik", appellation plutôt paradoxale. Il est vrai que la mouvance anarchiste dans la révolution, diffuse et sans doute influente en tant que sensibilité spontanée mais peu organisée, a largement nourri les premiers effectifs du parti bolchevik. En sens inverse, et comme pour confirmer cette "familiarité", des bolcheviks et nombre de combattants de l'armée rouge ont rejoint les rangs de Makhno. 

Le mouvement makhnoviste est né au village de Gouliaipolie, dans le district d'Alexandrovsk, dans le sud-est de l'Ukraine, sur le territoire ancestral des cosaques de Zaporoje. Les paysans y étaient donc affranchis depuis longtemps. En 1898, ce village comptait 7.196 habitants répartis en 1.048 "feux", ou exploitations familiales. Les réformes de Stolypine, après 1906, y ont engendré 50 fermes privées, dont 20 appartenaient à des colons allemands. C'était l'une des régions les plus "marchandes" de l'empire russe, loin de l'univers (Mir) communautaire de la Russie. L'anarcho-communisme, auquel Makhno adhère en 1906, se réclamait des traditions de "vie libre" des cosaques des 17 et 18ème siècle. Après une première phase terroriste et un séjour à la prison moscovite de sinistre mémoire, Boutyrka (1911 1917), Makhno est élu en août 1917 président du Soviet des députés paysans de Gouliaipolie. Ses partisans tuent le propriétaire foncier Klassen et organisent une "commune". Les anarcho-communistes "ont salué le coup d'état militaire bochévik d'octobre" et ont participé le 13 décembre 1917 à l'assaut de la Rada centrale de Kiev ainsi qu'à la formation, à Kharkov, de la "bouffone" république soviétique "ukrainienne". L'auteur relève chez Makhno "une haine pathologique envers le corps des officiers et le mouvement national ukrainien". 

En mars 1918, en "front unique" avec les Bolchéviks contre la Rada centrale et ses alliés allemands et austro-hongrois les Makhnovistes créent à Gouliaipolie les premières formations armées, incluant des unités "juives". Après une rencontre avec Lénine en mai 1918, Makhno se livre à du "terrorisme", contre l'hetman Skoropadski (le dictateur mis en place par les Allemands en Ukraine, ne précise pas l'auteur). Ce n'est qu'après la révolution en Autriche-Hongrie qu'il pourra engager des combats plus conséquents. « L'historiographie soviétique, assure A.V. Timochtchouk, a consciemment dissimulé le rôle des Maknovistes dans l'établissement fin 1918 du pouvoir communiste, dans la région de Gouliaipolie. Ainsi ont-ils pris part à la liquidation de la propriété privée "restaurée par l'hetman" et aux actions contre les koulaks. Ils ne se rallient pas comme d'autres armées ukrainiennes, le 13 novembre 1918, au "Directoire", de Petlioura (célèbre pour ses pogromes anti-juifs, ne précise pas l'auteur) instaurant la "République populaire d'Ukraine". Ils persistent à soutenir les Soviets. 

Pourtant, un éphémère rapprochement avec Petlioura, en décembre 1918, aurait surtout permis à Makhno de s'approvisionner en armes. Il comptait alors 10.000 partisans qui, de janvier à avril 1919 , se trouvèrent "au sein de l'armée rouge" tout en conservant une certaine autonomie. Son état major de 13 hommes comptait 7 anarcho-communistes, 3 Bolchéviks et 3 socialistes-révolutionnaires de gauche. Les commandants étaient originaires de la région, mais non de la paysannerie. Ouvriers, pêcheurs, journaliers, ils n'avaient jamais eu de propriété et aspiraient au "juste" partage de celle des autres ». Gouliaipolie est alors, pour les anarchistes, l'endroit "le plus libre du monde" où affluent les "humiliés", où règnent "l'ivrognerie et la débauche". Ils prennent part aux "réquisitions" chez les paysans et au "pillage des villes". Au printemps 1919, ils sont 25.000, engagés dans la guerre des Rouges contre les Blancs de Denikine. C'est alors que se précisent les divergences latentes avec les Bolchéviks. Des responsables de ceux-ci, Kamenev et Antonov Ovseenko, voudraient faire des troupes de Makhno une "division" rouge, Trotski est contre. Ce qui n'empêche Makhno de former "sa "division" insurgée", avec la participation "pour moitié d'Ukrainiens", pour un tiers de Russes, et de "nombreux Juifs" - note l'auteur. En juin 1919, la presse bolchevique dénonce les Makhnovistes comme "anarcho koulaks", le divorce se creuse, Makhno l'attribue à "l'hostilité personnelle de Trotski", et les succès de Denikine affaiblissent "Rouges" et "Noirs". 

Pour la période de juillet 1919 à avril 1920, "l'armée insurrectionnelle de Makhno" (40 à 45.000 combattants l'été 1919) agit pour son propre compte, en alternance d'alliances et de confrontations avec les Rouges. 

Des accords sont passés, fin septembre 1919, entre Makhno et Petlioura dans le cadre de la lutte contre Denikine, qui refuse tout compromis avec les armées ukrainiennes. 

Composée pour l'essentiel de pauvres et de "lumpen", ralliant des étudiants et des criminels, avec une prédominance de Juifs dans le commandement (Revoiensoviet) et les activités de culture et d'enseignement, l'armée de Makhno respecte cependant les libertés des formations politiques et de la presse (contrairement aux Rouges), elle "n'encourage pas le pillage criminel" et n'est pas portée à l'antisémitisme (contrairement aux Blancs et aux nationalistes ukrainiens, ne précise pas l'auteur). 

La liquidation de Makhno est envisagée par Trotski dès décembre 1919, mais elle est postposée au printemps 1920 vu la priorité du combat contre Denikine. Malgré cela, les formations de Makhno seront encore les alliées des Rouges contre la dernière armée blanche de Wrangel, avant d'être écrasées par les Bolchéviks de novembre 1920 à août 1921 comme "traîtres à la révolution". Makhno n'oppose pas de résistance, une grande partie de ses soldats passent à l'armée rouge, lui-même entre en clandestinité et tombe malade du typhus, avant de fuir, en août 1921, en Roumanie. 

Au cours de leurs quatre années d'existence, estime A.V. Timochtchouk, les formations de Makhno ont toujours été les ennemies des ennemis des Bolchéviks, elles ont lutté "pour le soutien à la révolution russe et à la Troisième Internationale communiste du monde entier", ne se sont jamais alliées "qu'aux Bolchéviks". Dans leur combat pour "les slogans anarcho communistes utopiques" ils ont été "plus cruels" que les Bolchéviks. Ennemis des propriétaires et des nationalistes ukrainiens, les Maknovistes ne peuvent être présentés comme défenseurs des "intérêts des paysans producteurs". La romantisation de Makhno dans l'historiographie ukrainienne est donc "inadmissible". Et l'auteur de conclure : "Les idées et les actions de l'anarcho-communisme, tout comme celles du bolchévisme, ne peuvent qu'être condamnées". L'ouvrage, extrêmement précis dans la description des batailles militaires, ne donne aucune précision sur l'activité des "communes" de Makhno (en dehors des "orgies") ni sur leur influence populaire. Telle est l'une des versions de l'Histoire proposées aux Ukrainiens de l'ère post-soviétique. 

Jean-Marie Chauvier Zahara


Source: Alternative Libertaire

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